En ce 8 mai, date de commémoration de la fin des combats de la guerre 1939-1945, je ne résiste pas à l'envie d'évoquer un très beau roman uchronique d'Eric Emmanuel Schmitt : la part de l'autre. L'auteur imagine qu'Adolf Hitler a été reçu au concours d'entrée de l'école des Beaux Arts de Vienne. La conséquence est de taille : cinquante millions de vies humaines sont épargnées! En parallèle de ce récit imaginaire dans lequel le personnage principal s'appelle Adolf H., E.E. Schmitt raconte la vrai vie du dictateur en le nommant Hitler. Pour avoir étudié en détail la vie de ce dernier, je peux vous dire que la fidélité historique est extrême. L'auteur a disséqué la moindre séquence de l'enfance, l'adolescence et la vie adulte de celui qui a précipité le monde entier de l'horreur. J'ai été très perturbé de constater que ce livre me faisait éprouver de la sympathie pour cette ordure d'Hitler. J'ai eu honte, avant de réaliser qu'il avait été un être humain. Comme moi. C'est choquant de penser qu'il y a une part de l'Humain dans ce genre d'individu. Ce qui signifie qu'il y a une part d'Hitler en nous. Difficile à accepter. L'auteur parvient à nous faire rire, en inventant une consultation de Hitler par Sigmund Freud! Il imagine une carrière de grand peintre, une vie parisienne aux côtés des grands maîtres du moment, dont Picasso et Modiglani. Hitler est très en vue dans la capitale française. Il est invité dans les endroits à la mode, roule en Bugatti. D'aucuns le soupçonnent d'être juif et homosexuel, sa peinture le suggère en tout cas, pensent-ils... Et puis la crise de 1929, implacable va le ruiner. Il repartira en Allemagne, deviendra professeur de peinture, fondera une famille et s 'épanouira dans un pays pacifique et prospère qui deviendra la première puissance mondiale!  De l'autre côté du livre, c'est la vraie Histoire, terrifiante. Et la morale du livre s'impose, limpide. Si Hitler avait été suffisamment humble et courageux, il aurait travaillé pour s'accomplir dans son réel talent de peintre. Car il avait un très bon coup de crayon. Et l'extrême droite allemande n'aurait pas trouvé en lui le tribun qui fanatisait les foules en leur servant des discours absurdes, mais les foules entendaient ce qu'elles voulaient qu'on leur dise. Les théories de Hitler étaient basées sur la haine, et la haine l'inspirait. La haine l'habitait et le nourissait comme elle se nourrissait de lui. L'accumulation d'échecs et l'incapacité à gérer sa vie ont fait de lui un monstre qui s'identifiait à l'Allemagne. L'Allemagne de 1918, vaincue, battue, piétinée, humiliée. L'Allemagne c'était lui. Et il était l'Allemagne. Et les responsables de sa chute étaient les Juifs, selon lui. Les Allemands se reconnaissaient dans ce type insignifiant qui se distinguait des politiques traditionnels, dont la gaucherie et la timidité le rendaient accessible au peuple. Voilà comment un grand pays a plongé dans l'horreur. En s'éprenant d'un type dont l'intelligence et les connaissances étaient très médiocres. Un type qui ne parvenait pas à gérer ses émotions et ses pulsions. Un type qui refusait de se remettre en question. Voilà qui me fait penser à un parti politique dont le père et la fille s'écharpent en public. Incapables de gérer leurs querelles familiales, ils se prétendent à la hauteur pour exercer les plus hautes fonctions? Allons donc! Ce roman est passionnant, parfaitement bien écrit et apporte un éclairage précieux et fidèle sur la personnalité de Hitler.