POTENTIA VERBORUM

C'est au cours d'une sortie à VTT que je l'ai rencontrée. Elle gisait dans un taillis, rongée par la corrosion, la nature reprenait ses droits, la digérant lentement mais sûrement. Elle, c'était cette Traction, qui avait dû être noire et rutilante. Elle était sortie de l'usine Citroën du quai de Javel, après-guerre, son capot à grilles en attestait, les modèles avant-guerre  étant équipés d'un capot à volets thermostatiques. Je pris l'habitude de venir la voir, mon imaginaire se mit en marche, je me surpris à l'intégrer au roman que j'étais en train d'échafauder à l'époque, et je décidai que ce serait à son bord que le marquis, accompagné de son ami le curé de Solignac, partirait chercher de l'aide au Mont Gargan (malgré le capot à grilles, qui pourrissait à proximité de la voiture). Son compartiment moteur était boisé, mais ce n'étaient pas des arbres à came... Je me surpris , à l'aimer, et en ce matin d'hiver, je l'ai photographiée tant sa beauté tragique était sublimée par la neige. Bien m'en prit. Je la voyais pour la dernière fois. Quelques semaine plus tard, elle avait laissé la place à un grand vide, et dans le taillis, et en moi. Seul le pare-chocs gisait au sol, me prouvant que je n'avais pas rêvé. Les arbrisseaux qui croissaient en elles avaient été massacrés. Je veux croire qu'elle a été emportée par un collectionneur, qu'elle sera amoureusement restaurée, et qu'elle connaitra une deuxième vie. De toute façon, elle reprendra la route dans quelques mois, dans mon roman.